Les chuchotis du lundi : la farce des 50 Best, Julien Chicoisne quitte Paris-Society pour les Moccia, Christophe Raoux le voyageur, Alain Gardillou le franc-tireur, du neuf au Moulin de l’Abbaye, Massimiliano Sena au Château de Courcelles, la surprise latino de Sarlat, une Olympiade pour Amandine Chaignot

Article du 10 juin 2024

La farce des 50 Best

Les lauréats © DR

Tous les ans, on scrute avec un amusement teinté de consternation ce classement nébuleux, basé sur les votes (?) d’un comité de chefs, clients, critiques, hissant volontiers la gastronomie ibère, péruvienne et anglo saxonne au sommet du panthéon culinaire mondial. Après le couronnement de Central à Lima l’année passée, les résultats sont tombés ce 5 juin en direct de l’hôtel Wynn de Las Vegas. La palme d’or de ce nouveau millésime revient au barcelonais Disfrutar désormais adoubé « meilleur restaurant de la planète » et dont les menus dégustations ne s’écrivent en rien mois que 30 plats… Un choix qui s’inscrit dans la lignée et le tropisme espagnol promus de longue date par le 50 Best puisque les trois chefs (Oriol Castro, Eduard Xatruch et Mateu Casañas) sont les dignes disciples de Ferran Adria d’El Bulli chez qui ils ont œuvré. On retrouve d’ailleurs en seconde et quatrième position Asador Etxebarri, dans le village basque d’Axpe et Diverxo à Madrid. Parmi les établissements français – 4 au total, tous dans la capitale – on note le retour de l’Arpège d’Alain Passard à la 45e place, la progression de Plénitude d’Arnaud Donckèle de la 36e à la 18e place mais aussi celle de Septime de Bertrand Grébaut passant de la 24e à la 11e place. Présente l’année dernière, la Grenouillère d’Alexandre Gauthier est, en revanche, évincée. La grande surprise de ce « top » 2024 réside bien sur dans la 3ème place attribuée à Table de notre ami Bruno Verjus, autodidacte flamboyant, auteur remarqué de « l’Art de Nourrir » et désormais auréolé de deux étoiles au guide rouge. Une présence sur le podium aux allures d’exploit puisque, outre le sacre du Mirazur en 2019, le dernier chef tricolore a y avoir eu droit était Pierre Gagnaire en 2008…. Entre subjectivité, volonté de tout placer dans le même panier et critères de sélection peu évidents, cette nouvelle édition frise, encore une fois, le ridicule. Qui, on le sait, n’a jamais tué personne.

Julien Chicoisne quitte Paris-Society pour les Moccia

Julien Chicoisne © GP

Il avait ouvert le Drugstore pour Eric Frechon et était demeuré trois ans avec lui. Ce natif de Cholet, formé dans sa ville natale avec un chef étoilé japonais au Belvédère (il avait 14 ans !), puis par Nicolas le Bec aux Fermes de Marie et dans le groupe Sibuet (de Megève à Lyon, durant sept ans), avait d’ouvrir la table du Murano à Paris, puis celle du Drugstore pour Eric Frechon, avant de devenir, durant six ans, le chef exécutif du groupe Paris-Society gérant près d’une trentaine de restaurants (Mun, Bonnie,

Christophe Raoux le voyageur

Christophe Raoux © GP

On avait connu Christophe Raoux au Café de la Paix, en tant que chef exécutif de l’Hôtel Intercontinental puis au Péninsula Paris, avenue Kléber, remplaçant Jean-Edern Hurstel et avant David Bizet. Il était devenu professeur en chef à l’école Ducasse, avant de passer en Suisse, côté Genève, au groupe M3, puis de reprendre en mai les brasseries et restaurants du groupe Bocuse avec le titre à nouveau de chef exécutif.  Autant dire qu’on a un peu de mal à suivre ce MOF voyageur, millésime 2015, formé dans le groupe Ducasse, même si on est heureux de le retrouver au mieux de sa forme et de son sujet à l’hôtel Royal Champagne, de Champillon-Bellevue, près d’Epernay, où il remplace Paolo Boscaro qui lui-même avait remplacé l’ex deux étoiles du Négresco et MOF Jean-Denis Rieubland. La réputation de Christophe Raoux, on le sait, est celle de « grand nettoyeur » : la remise au net des classiques de la cuisine française avec brio, avec ses talents d’organisateur et de pédagogue qui devraient trouver moyen de s’adapter au terroir champenois, dans une région où les étoiles et les maisons de prestige sont nombreuses. La passation de pouvoir entre Christophe Raoux et Paolo Boscaro, qui part à Paris pour un projet personnel, devrait se faire début juillet.

Alain Gardillou le franc-tireur

Alain Gardillou © GP

On vous avait tout dit d’Alain Gardillou qui possédait une étoile – sa mère, Solange, en détenait deux dans les années 1980 – et a décidé de tourner la page étoilée, rendant, il y a cinq ans, son macaron au guide rouge. Mais, ô surprise, rien ou presque n’a changé dans son moulin gourmand des bords de rivière, sis au coeur du Périgord vert, qui garde bon cap sur la qualité, des produits, de la cuisine, sans omettre l’hôtel avec ses quinze chambres à fleur d’eau, qui ont conservé charme champêtre, déco à l’ancienne, mobilier d’autrefois, tout en gagnant – c’est nouveau – les cinq étoiles. Seul changement dans le service qui conserve ses belles habitudes, son sens pédagogique et son élégance naturelle : les cravates ont disparu. Reste que la maison conserve chic, raffinement, belle mise de table entre nappes immaculées, couverts en argent et belle verrerie. On ajoute qu’Alain et les siens, Fabien Bruguera, le directeur sommelier, Pierre Casaro, le chef de rang émérite, et Gilles Kluczny-Diaz, le fidèle chef en second, prêchent toujours les valeurs gourmandes du Périgord avec ferveur. Le lieu, vous le connaissez, est un ancien moulin à l’huile posé sur les rives de la Dronne, dans son environnement boisé et fleuri sur les deux rives, assure la quiétude des hôtes avec joliesse. La cave a de la ressource, la carte a su raccourcir sans perdre de sa superbe et le franc-tireur Gardillou joue le classicisme flamboyant non sans rigueur avec le foie gras et truffe en majesté.

Du neuf au Moulin de l’Abbaye

Alexandre Poumier, Valérie Gautherot, Frédéric Murati © GP

Ce moulin de charme,  au coeur de la Venise du Périgord, face aux eaux bouillonnantes de la Dronne, que créa jadis Régis Bulot, futur président des Relais & Châteaux, on le connaît et on le suit depuis belle lurette. Voilà qu’une fine équipe, sous la houlette de la directrice, la fidèle Valérie Gautherot, lui donne des couleurs neuves et séductrices. Les chambres sobres qu’elles soient directement dans le moulin, au relais des moines ou dans le village, séduisent sans mal. L’abbaye chère à Pierre de Bourdeille, abbé de Brantôme, l’auteur des « Dames Galantes », forme un environnement de choix. La nouveauté ? La cuisine fine, audacieuse, inventive, qui joue volontiers terre/mer, avec des inclinaisons marines évidentes sous la direction de Frédéric Murati, corse d’origine, qui passa vingt ans en Belgique, notamment aux côtés d’Yves Mattagne, qui fut l’as du poisson à Bruxelles, au SAS Sea Grill, et y gagna deux étoiles. Il y eut là aussi les conseils du sage Jacques Le Divellec, expert en la matière (notamment avec béarnaise de homard, qu’on. retrouve là avec un étonnant mariage veau/homard). Ces belles idées marines, on les rencontre ici et là, au fil de ses menus surprise auxquels le sommelier Alexandre Poumier offre le contrepoint vineux malicieux. Le morceau de bravoure de la maison : la langoustine flambée sur sa pierre en salle, escorté d’un foie gras poêlé avec artichaut, champignons, jus à la cardamome sur lequel un noble Bergerac blanc « Moulin des Dames » des de Conti fait merveille. Nouveauté encore : un jeune pâtissier californien, Aaron Friedman, passé notamment au Shangri-La et chez Babka Zana, qui joue avec les textures et les goûts fruités et acidulés avec maestria. A revisiter en hâte…

 

Massimiliano Sena au Château de Courcelles

Massimiliano Sena © DR

On l’avait perdu de vue depuis ses années en Suisse, côté Genève au Il Lago de l’Hôtel des Bergues. Voici Massimiliano Sena en route pour le Château de Courcelles, où il remplace à la fin de mois Benjamin Collombat, qui n’aura fait qu’un bref séjour dans ce Relais & Châteaux de l’Aisne, rejoignant son Var natal où il doit créer une table pour les Riboud-Rousselle au sein des vignes du château Roubine. Originaire de Sorrente, Massimiliano Sena a été, de 2016 à 2024, le chef de la table étoilée du Four Seasons les Bergues. Issu d’établissements de haute volée, comme l’Osteria Nonna Rosa à Vico Equense en Campanie, la Rosetta Grosvenor House Hôtel à Londres, le Rossellinis du Palazzo Avino à Ravello, sur la côte amalfitaine, c’est Pino Lavarra, chef réputé du Ritz-Carlton à Hong Kong, qui fut son inspirateur n°1. Il fera, à Courcelles, dans le beau château voisin de la Champagne, appartenant à la famille Anthonioz, une cuisine créative française matinée de quelques notes italiennes.

La surprise latino de Sarlat

Yadira et Christian © GP

Elle est cubaine, il est argentin. Ils se sont rencontrés en Périgord et l’idylle dure. Christian Borini et Yadira Didi Lopez Hernandez ont fait des « 3 Sens » à Sarlat, au coeur de la côté renaissance miraculeusement préservée, la table gourmande et légère du moment à découvrir. Ils y accueillent avec professionnalisme et gentillesse dans un cadre un peu sombre, mais avec une petite terrasse providentielle. Et y proposent – c’est rôle de Ydira – les vins d’Argentine, comme le blanc Torrontes Alma Salta 2022 ou le rouge malbec Piedra Negra signé François Lurton en 2020. Christian, lui formé en Argentine, passé dans de belles tables en Espagne et en Dordogne, y mitonne une cuisine périgourdine nouvelle vague. Le tataki de thon fumé avec ajo bianco, sauce sambaizu, précède la crème royale périgourdine au foie gras de canard IGP Périgord, l’oeuf parfait aux truffes d’été, la raviole aux cèpes au bouillon miso et noisettes torréfiées ou encore le filet de truite de Borrèze  avec sa déclinaison de petits pois et fruits de saison qui constituent de divines surprises. Le Michelin qui n’indique, dans son édition 2024, aucune adresse à Sarlat, ferait bien d’y dépêcher un inspecteur…

Une Olympiade pour Amandine Chaignot 

Amandine Chaignot © GP

On n’arrête pas la bondissante Amandine Chaignot ! Celle qui fût la complice de Christopher Hache au Crillon, avant d’oeuvrer à l’hôtel Raphaël avenue Kléber puis de partir pour Londres au Rosewood et enfin de signer un retour flamboyant à Paris avec son Pouliche de la rue d’Enghien, fait partie des trois chefs sélectionnés pour régaler les athlètes du Village Olympique aux côtés d’Alexandre Mazzia et d’Akrame Benallal. Une fierté pour cette ex-étudiante en pharmacie qui s’illustra il y a dix ans déjà au jury de Masterchef et multiple depuis avec doigté les faits d’armes en étroite collaboration avec le groupe Eleni des frères Chantzios, sans omettre de veiller sur la carte du Nepita au sein de l’hôtel Florida. En parallèle de ces olympiades gourmandes, on a redécouvert son bucolique Café de Luce, niché du côté des Abbesses, au bas de la butte Montmartre, baptisé en hommage à la grand-mère d’Amandine. Prenant ses aises sur la place Charles Dullin, nez à nez avec le théâtre de l’Atelier, la maison, où Amandine livre sa ré-interprétation du classicisme à la française est prisée des touristes américains comme des flâneurs du quartier. Sa botte secrète ? La terrasse champêtre sur laquelle on vient lézarder au soleil (la demeure servant limonades sans discontinuer) mais aussi goûter oeuf mayo, suprême de pintade, tartare de boeuf, chou au caramel et chantilly.

Et vous, qu'en avez-vous pensé ? Donnez-nous votre avis !